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Bruxelles, Belgium
J’ai travaillé plusieurs années dans le secteur de l’éducation en prison, à l’Unesco. J’ai visité les prisons d’environ 80 pays et ai rencontré des ministres de la justice et de l’éducation, des directeurs de prisons, des éducateurs et des détenus et leurs familles. L’objectif de ce blog est de diffuser l’information que je continue de recevoir ainsi que celle que j’ai accumulée pendant mes nombreuses années de « chercheur principal » de l’Unesco. Un autre objectif est de contribuer à nourrir une réflexion qui est loin d’être close à propos de la prison, de l’éducation, de la peine, de la réinsertion, du rôle de l’état, de la responsabilité du détenu … C’est un vaste débat que l’éducation en prison. C’est pourquoi ce site accueillera toutes les informations, présentations d’expériences, recherches et études ainsi que les initiatives gouvernementales dans ce secteur. Je peux lancer et entretenir ce blog grâce à l’appui de l’Agence Education Formation de la Fédération Wallonie Bruxelles qui a accepté mon projet d’assistanat Grundtvig à Barcelone, pour les quatre derniers mois de l’année 2011. Marc De Maeyer Barcelone, le 7 octobre 2011.

dimanche 11 décembre 2011

Recomendaciones de Florianopolis: Educacion : una cuestion de dignidad

 En 2004, lideres en educacion en carceles de Europa y Latin America producieron estas recomendaciones, al fin de un seminario organizado en el marco del programa de Educacion de los Adultos de la Comision Europea. (articulo 13)



RECOMENDACIONES DE FLORIANOPOLIS


JOVENES Y MIGRANTES EN CARCELES



LA EDUCACION EN CARCELES.   UNA CUESTION DE DIGNIDAD


1. EDUCACION PARA LA VIDA

Estar preso es una situación transitoria, ser joven también y ser inmigrante es también una situación precaria. Bajo una perspectiva de educación para la vida (especialmente para jóvenes) es necesario tomar en cuenta el estado transitorio de la situación del preso La educación en prisión debe permanecer en la continuidad de la educación para la vida y no enfocarse en un estado provisorio del detenido.

2. UNA EDUCACION PARA TODOS Y POR TODOS

Todo el personal que trabaja en prisión incluidos los educadores debe contar con tiempo y espacio para asegurar la coherencia de sus diversas actividades. En esta perspectiva ningún empleado o profesional tiene un papel secundario, tanto los abogados como los guardias y educadores deben trabajar de manera interdisciplinaria.

3. UNA RESPONSABILIDAD DE TODOS LOS ACTORES

La educación es un derecho. Por lo tanto es una responsabilidad del Estado que debe asegurar la profesionalización, permanencia, continuidad y complementariedad de las actividades educativas. Esto debe realizarse permitiendo y propiciando la contribución de la sociedad civil.
El estado es responsable de proporcionar la educación y debe asegurar y favorecer las demandas educativas en los centros penitenciarios.


4. MULTIDISCIPLINARIEDAD

Es necesario que el sector educativo y el judicial puedan coordinarse bajo una perspectiva de educación continua para ciertas cuestiones tales como la multidisciplinariedad, la educación permanente de guardias y la administración de expedientes de los presos.



5. EDUCACION PARA LA TOLERANCIA

La presencia de minorías en las cárceles (religiosas, de ideas, de orientación sexual, raciales, familiares como las madres jóvenes) debe ser considerada tanto en la organización de la prisión como en los cursos y en el material pedagógico. Se vigilará que este último exprese la realidad. Asimismo las personas pertenecientes a la “mayoría”  
en las prisiones debe ser sensibilizada a la realidad de las minorías a través de la educación para la tolerancia.

6. PROXIMIDAD GEOGRAFICA Y CULTURAL

Las principales opciones educativas así como el material pedagógico deben ser adaptados a las regiones y a la cultura de origen de los presos. En esta perspectiva, el encarcelamiento en la región de origen será privilegiado con el fin de permitir a los familiares  redes del detenido de participar en su proceso de rehabilitación.


7. EDUCACION Y TRABAJO

Es necesario reconocer el papel de la educación en prisión y prever que la pena sea disminuida en función de los cursos realizados bajo la condición que la educación sea concebida y presentada en su contexto de origen. La educación debe tener el mismo peso que otras opciones de ocupación en las cárceles. En este sentido un esfuerzo extra debe realizarse a favor de los jóvenes.
En la organización de la prisión es necesario que la educación y el trabajo sean complementarios y no competitivos. Si el trabajo en prisión es remunerado, la formación podría traducirse en una reducción de la pena.

8. FORMACION PARA LA AUTONOMIA PROFESIONAL

Los programas de educación profesional deben de manera imperativa integrar las perspectivas de la aplicación de la formación recibida una vez que se obtenga la libertad. Para tal efecto, es necesario reflexionar sobre las posibilidades que tiene el preso de crear su empleo o su pequeña empresa. De este modo se requiere sensibilizar al sector de las pequeñas y medianas empresas sobre la empleabilidad de las personas que egresan de las cárceles.

Des prisons comme hotels. Information de la RTBF

Nous reprenons ici une nouvelle présentée ce samedi sur le site d'information de la RTBF. Nous proposerons bientôt une entrevue de Jan de Cock. (MDM)


Travailleur social, Jan De Cock effectue depuis 25 ans un véritable "tour du monde des prisons". Un voyage au bout de l’enfer, dont il témoigne aujourd’hui.
1987. Jan De Cock effectue un travail humanitaire au Chili, auprès des enfants des rues. Sniffeurs de colle, ils se retrouvent régulièrement derrière les barreaux et c’est là que leur rend visite l’Anversois. Il rentre en Belgique et poursuit son engagement auprès des détenus. Il devient le visiteur "attitré" des Latinos, et d’autres étrangers, n’ayant plus aucun contact avec leurs proches.
Un jour, Jan De Cock décide d’écrire un livre sur l’univers carcéral. Il espère démonter certains clichés. Les prisonniers qu’il côtoie l’incitent à visiter d’autres prisons, hors de la Belgique. Il faudra 3 ans à l’Anversois pour obtenir les autorisations nécessaires et embarquer pour ce "tour du monde" des prisons. Rwanda, Burkina Faso, Inde, Chili, Madagascar, Slovénie, Nouvelle Zélande... Il affiche aujourd’hui 163 prisons au compteur. Dans la majorité d’entre-elles, il a affronté la faim, la maladie, la soif. Au Japon, il était interdit de parler. En Afrique du Sud, 90% des détenus étaient malades du sida. Sans parler des conditions d’hygiène, ces toilettes qui débordaient (quand il y en avait), ces rats,ces sauterelles, ces puces dans dortoirs surpeuplés !
Après avoir vécu pareille plongée en enfer, on pourrait s’attendre à ce qu’il relativise les conditions de vie des détenus en Belgique. "Il y a des initiatives encourageantes, par rapport à la justice réparatrice, par exemple. Mais il reste des défis". Il pointe la surpopulation carcérale (752 prisonniers à Anvers, la semaine dernière, pour une capacité totale de 440), le nombre de nationalités à accueillir (70 à Anvers, 50 langues parlées). "J’entends souvent les gens dire que les prisons sont des hôtels. J’invite les gens à venir voir ! J’espère qu’ils n’auront jamais à payer pour vivre dans de telles conditions !".

Un livre, une fondation...
Aujourd’hui, Jan De Cock partage son temps entre les visites de prison et l’accompagnement des patients en soins palliatifs. Il a écrit un livre ("Des prisons comme des hôtels"), monté une Fondation ("Within-without-walls") et donne des conférences. Son but ? Changer le regard porté sur les détenus, sans les excuser pour autant, faire en sorte qu’ils soient considérés comme faisant partie de la société.
"Ce que je vis depuis 25 ans, la main sur le cœur, je vous dis que ça vaut la peine. Je suis devenu beaucoup plus heureux grâce à ma rencontre avec ces personnes. Et j’apprends encore de ces personnes. Je ne veux pas être aveugle, et excuser tout ce qu’ils ont fait (…) mais je ne veux pas donner le dernier mot aux faits, aux crimes".


Interview, réalisée par Charlotte Legrand au Collège Saint-Vincent de Soignies ce 9 décembre. Jan De Cock répondait à l’invitation du groupe local d’Amnesty International et de la Fraternité Franciscaine. Information trouvée sur le site de la RTBF
Charlotte Legrand

dimanche 27 novembre 2011

Il n'y a pas de représentation idéale

Il n’y a pas de représentation idéale.


C’était la représentation de tous les dangers. Et ce le fut.

Bien sûr, après la représentation de la veille, devant – entre autres – les familles et donc une nuit sans sommeil tant l’émotion avait été forte pour les détenus acteurs, il y avait cette dernière séance exclusivement pour les prisonniers.

Le danger était double: que la concentration se relâche et que le public du jour, sans concession, n’entre pas dans le jeu.

Venus des différentes sections de la prison, les deux cents spectateurs étaient là parce qu’ils n’avaient pas de visite familiale, parce que, le samedi, les activités sont réduites, parce qu’ils n’avaient rien d’autre à faire, parce que c’était une occasion d’aller voir ailleurs, de rencontrer des amis des autres sections, bref, on allait jouer devant / pour un public aux motivations les plus fragiles.

Le phénomène de groupe a joué à fond: des chahuts et réflexions, deux sabotages (débrancher des prises), des commentaires à haute voix et finalement des groupes entiers qui quittaient le théâtre pendant le spectacle. De quoi déconcentrer mais surtout inquiéter les acteurs jouant devant leurs pairs. Ne pas être pris au sérieux par ses pairs, dans une démarche inhabituelle, ce n’est pas facile quand on doit vivre avec eux, 24 heures par jour pendant des années.

Un acteur me disait «certains de mes amis ont ri de moi mais cela va aller car moi, je sais que je suis de l’autre côté de la frontière» ; ce qui veut dire, « moi, j’ai compris, je suis dans une démarche et je suis assez fort que pour entendre ces contre arguments … que moi-même j’aurais donné, il y a encore un an ou deux. »

C’était décevant mais aussi salutaire. Certes, on aurait préféré plus d’enthousiasme de la part des spectateurs et des encouragements aux acteurs mais est-ce si étonnant que cela ne se soit pas produit ?

C’est un rappel de ce qu’est réellement la prison : elle n’est pas le lieu où chacun soutient et encourage l’autre dans ses démarches et ses prises de risque, elle n’est pas un lieu d’innovation et de la recherche socioculturelle ; elle n’est pas un lieu de solidarité. 

Nous sommes dans ce lieu où les codes de conduite, implicites mais très clairs, ne seront jamais les mêmes que ceux de l’extérieur. La manière d’y survivre n’est certainement pas d’être original, attentif aux nouveautés et attiré par les pratiques que l’on attribue à un monde auquel on n’appartiendra jamais. Les pairs ne le toléreront jamais.

Pour beaucoup de détenus, le théâtre – surtout le théâtre participatif – représente une autre culture et constitue donc une caractéristique d’une autre classe sociale – celle, entre autres, des juges et magistrats.
Il y aurait donc, dans le chef des acteurs, comme un parfum de trahison par rapport à sa propre classe sociale et à sa consommation culturelle. ..surtout s’il ne s’agit pas uniquement d’assister aux représentations mais aussi d’y être acteur.

Ce qui s’est passé hier nous rappelle qu’il n’y a pas de représentation idéale ; qu’il n’y a pas de théâtre idéal ; qu’il n’y a pas de prison idéale parce qu’il n’y a pas de société idéale.

Cette société de paix, de non violence, de sécurité et de promotion pour chacun se construit avec l’aide de tous les citoyens et sous la responsabilité de l’Etat. Le travail théâtral, l’éducation formelle et non formelle, l’insertion professionnelle, l’intégration sociale, l’éducation pour tous tout au long de la vie sont quelques-uns des objectifs sur lesquels la société civile s’implique également. Nous avons dit combien, dans le cadre de la prison, sa présence était essentielle.

C’est aussi le mérite de cette société civile que de s’impliquer là où l’Etat ne veut pas (trop) s’engager; l’état de l’éducation en prison dans le monde en est un exemple frappant.

Les organisations qui, comme Teatrodentro, sont impliquées depuis des années dans la prison de Cuadro Camins acquièrent jour après jour leur crédibilité par la qualité du travail effectué et la régularité de leur présence cohérente.
Des moments de grande émotion et de réussie succèdent aux moments d’hésitation, voire de découragement. Ceux qui travaillent dans un secteur comme celui de l’éducation en prison savent qu’à chaque moment, tout peut basculer parce que le détenu est invité à devenir un interlocuteur… et que cela s’apprend.


Tout au long de ces cinq billets consacrés à la préparation et la représentation de « Entre tu y yo » par Teatrodentro et les acteurs de la prison de Cuatro Camins , près de Barcelone, nous avons souligné combien la contradiction était forte entre ce que le rôle de détenu modèle suppose de conformité, d’imitation, d’obéissance, de suivisme  et ce qui est attendu de lui, dès sa sortie quand il devra prendre des initiatives, entrer en contact avec les autres, être demandeur, être partenaire, être parfois parent, être acteur… de sa propre vie.

Cette contradiction, pas toujours exprimée mais vécue, peut sans doute trouver sur scène, sous les applaudissements de la famille et les moqueries des pairs, un espace temps original qui fait découvrir l’ampleur de ce qui l’attend à la sortie - cette sortie tant attendue et qui fait peur.

La représentation théâtrale a peut-être conforté son audace qu’il y a à chercher ce qu’il y a d’incertain et de fascinant « entre toi et moi ».  



Marc De Maeyer
Barcelone, 27 novembre 2011.

samedi 26 novembre 2011

Un artiste dans la famille



Un artiste dans la famille.


On n’en parlait plus, on ne pouvait plus en parler; on préférait l’ignorer, lui … le fils, le frère, le père en prison. Un raté. Notre honte.
Si son nom – notre nom – a été publié quelque part, c’était à la rubrique des faits divers. Vol, trafic, violence conjugale…

Il est en prison, dans sa cellule, puni… comme peut-être on ne l’a pas fait assez quand il était petit, comme on l’a peut-être trop fait ou trop mal.

Tout ce que l’on peut (éventuellement faire), c’est aller le voir; lui apporter un peu de nourriture, des cigarettes, une chemise, de l’argent.
Une routine familiale. Une autre manière encore de vivre une vie familiale.

Et voilà que, maintenant, c’est lui qui invite ; c’est lui qui insiste pour qu’on aille le voir, non au parloir mais au théâtre. Dans un théâtre où lui et nous n’avons presque jamais mis les pieds.

Et les familles répondent assez positivement; elles ont droit à trois entrées. Hier soir, elles étaient assises parmi le public extérieur, simples citoyens intéressés par ce travail et devant s’inscrire quelques jours à l’avance. Rien de bien compliqué au niveau administratif.

Hier soir donc, les familles étaient dans la salle. Elles ont reçu le programme où, en toutes lettres, apparaît le nom de leur parent.

Son nom sur un programme de théâtre !

C’est aussi un des (multiples) acquis du travail de Teatrodentro : au début, les détenus ne voulaient pas mettre leur nom et préféraient se faire désigner par un surnom (Je suis un autre) . A partir du moment où ils ont été reconnus comme participants à un groupe de théâtre et donc comme acteurs, et non participant à une simple occupation de loisirs, ils ont aussi compris que cela passait par une re-con-naissance de leur état civil.
Cette simple feuille de papier, avec le nom de famille, c’est tout un travail de réappropriation d’une histoire de vie, d’une histoire chaotique. Ce n’est pas un autre qui joue ce soir; c’est le même ; c’est le délinquant, c’est le détenu, c’est votre fils, c’est votre père mais c’est lui, dans toute sa personne et dans les compétences et sentiments que vous allez découvrir ce soir.

Nul ne doute que ce programme restera longtemps sur la table de la maison ; on ira le monter à la famille ; peut-être aussi aux voisins qui vous regarderont avec un peu moins de méfiance.

Certaines familles viennent à presque tous les spectacles ; pour d’autres, c’était la première fois tout comme, pour celles-ci, c’est de l’ordre du difficile de voir son parent derrière une vitre, une fois par semaine.

D’autres familles ne viendront pas car père et mère sont aussi en prison, dans d’autres coins  d‘Espagne.

Il y avait aussi ces vieux parents venus applaudir leur fils de plus de 50 ans. Applaudir. Quelles turbulences, espoirs et découragements n’ont-ils pas vécu pendant 50 ans ? Seront-ils encore là quand il sortira ?  vivront-ils encore de bons moments ensemble, dans les bras l’un de l’autre,  mis à part ces quelques instants de congratulation, de bonheur, de fierté… comme après ce spectacle. (entre tu, hijo)


Ces pères et frères étaient donc sur la scène du théâtre de la prison de Cuatro Camins, hier soir,  à une demi-heure en voiture de Barcelone.
Plusieurs mois de travail pour s’initier aux métiers de la scène, pour écrire ensemble un scénario, pour le mettre en scène et le jouer. Le tout dans la prison où, pendant tout ce processus, certains vont être changés de prison, d’autres mis en isolement pour mauvaise conduite ou violence, d’autres encore vont se décourager, déprimer, se révéler.


Ils sont sur scène ; ils jouent ; ils s’y mettent à fond. Les familles applaudissent mais s’applaudissent aussi en quelque sorte, se reconnaissant dans les séquences où on met en scène l’incommunicabilité dans la famille, le peu d’espace pour les activités de chacun, la nervosité ambiante, les secrets qui parfois n’en sont pas.

A la fin du spectacle, les familles et les acteurs étaient dans la salle, se félicitant, s’embrassant, se présentant le copain à la famille de l’autre…
C’est, une fois de plus, le mérite de cette prison (elles ne sont malheureusement pas toutes comme cela et celle-ci n’est pas parfaite) : les familles étaient ensemble; elles ont échangé pendant une demi heure avant que chacun, le cœur gros d’émotion regagne qui sa maison, qui sa cellule.
Pour les détenus, après les derniers applaudissements, retomber les pieds sur terre peut prendre quelques jours, voire quelques semaines, voire une grosse crise.

L’espace d’un soir ou peut-être à partir de ce soir, celui qui était un raté et la honte de la famille est devenu un acteur, une star !

Un acteur reconnu et applaudi par plus de cent personnes… c’est mieux que ses frères et sœurs qui ont une vie « classique ». C’est tout le paradoxe.

Evidemment, tout cela se travaille car nous ne sommes pas à Hollywood ; on est toujours en prison ; les conditions matérielles de la prison et l’ambiance familiale sont toujours identiques. Ce théâtre, ce n’est pas un rêve et ce n’est pas un moment où on oublie tout, où on efface tout.

A contraire,

C’est un moment où on montre les compétences que l’on s’est découvertes. Il a fallu la prison pour le faire. Terrible paradoxe !

C’est aussi un moment où on construit, dans la non violence, ensemble, un projet que l’on va mener jusqu’au bout; c’est une opportunité de se découvrir sinon des talents (parfois) tout au moins de nouveaux centres d’intérêt ainsi qu’une faculté d’apprentissage que l’on croyait rouillée à tout jamais. C’est aussi avoir un point de repère dans le temps infini de la prison.

C’est d’être, un temps, sous les feux de la rampe et non au banc des accusés.



Marc De Maeyer
26 novembre 2011.
Barcelone






vendredi 25 novembre 2011

L'extérieur est rentré !

L’extérieur est rentré

Les amis

Bien sûr, ce sont des amis, des convaincus, des convertis à l’idée que l’enfermement n’est certainement pas la seule solution. Ils sont venus rencontrer ceux qui sont dedans et apprécier leur travail de théâtre.

Il y a donc une ambiance de sympathie, d’empathie. Si on est certes pas dans le même bateau, on est tout au moins de la même aventure – au moins pour quelques heures.

La plupart des spectateurs sont des adversaires de la prison, du moins telle qu’elle fonctionne dans la plupart des pays – même développés. Ils savent que la prison ne sert pas à grand-chose, en tout cas pas pour le détenu. Elle rassure la société, certes, oui.

Ils sont venus voir ce qu’il y a entre toi et moi; entre étroit émoi.

Le succès est assuré, même s’il est vraiment mérité tant il y a du travail et de la conviction dans ce que les acteurs donnent d’eux-mêmes. Il n’est dès lors pas surprenant que les spectateurs se focalisent davantage sur les trajectoires individuelles, encore inconnues, que sur le travail collectif sur lequel, même de l’extérieur, on croit avoir le minimum d’information nécessaire.
On veut savoir qui, dans la troupe, est du dehors et qui est du dedans. Pour voir quelle différence ?

Hier aussi, la TV de Catalogne préparait un reportage; les jeunes détenus ont répondu aux questions des journalistes. Moments inhabituels, sauf pour ceux qui ont eu « les honneurs » des faits divers, au moment de leur condamnation... et encore ..  car à ce moment-là, on ne leur a pas demandé leur avis !

Il est essentiel que ceux du «dehors» soient informés des initiatives qui se prennent à l’intérieur car il ne s’agit quand même pas que d’enfermer. Une fois que les portes sont bien fermées et les barreaux bien fixés aux fenêtres, on fait quoi ?

Cent vingt personnes ont donc vécu ce spectacle, ont reçu les questions posées pendant celui-ci et sont reparties avec.

Les gardiens

Ce qui est remarquable dans l’organisation de ces représentations, c’est la collaboration de l’administration pénitentiaire. Malgré une grève spontanée du personnel, le matin, en réponse à des projets gouvernementaux relatifs aux salaires de tous les fonctionnaires, le personnel pénitentiaire a été chercher les détenus dans leurs modules de vie, a coopéré à l’enregistrement des spectateurs, a organisé avec discrétion la sécurité. Cela mérite d’être souligné quand on sait que dans certains pays, dont le mien, les gardiens refusent même d’aller chercher les détenus en cellule pour les amener aux cours.
Il faut dire que les gardiens de mon pays ne sont pas très formés. C’est toute la différence entre deux pratiques professionnelles dont pourtant la description se ressemble. On pourrait croire qu’un gardien de prison ressemble à un autre gardien de prison. Ce n’est pas vrai ; cela dépend de leur engagement lui-même soutenu par une administration pénitentiaire plus ou moins éclairée et des syndicats dynamiques ayant une vision globale et non bêtement corporative.

Certains gardiens ont même félicité les détenus qu’ils connaissaient, à la fin du spectacle. Garder ne veut pas dire mépriser.

C’est bien la preuve qu’aucune initiative en prison ne peut réussir sans la collaboration entière des gardiens et de l’ensemble du personnel. Quel est le sort d’un programme d’éducation, de sport, de culture, de santé si le personnel ne veut pas aller chercher les détenus en cellule, s’il ne veut pas les aider dans leurs démarches positives, si même parfois il s’agit ni plus ni moins de sabotage.

Comme si ce genre d’initiative risquait, à terme, de remettre en question le statut des gardiens, statut dans lequel ils se sentent peu valorisés.
Ici, personne ne se sent menacé… même si on est entouré de délinquants, dont certains, ont des casiers judiciaires « impressionnants ».


La société civile

Même si les spectateurs sont des sympathisants, ils constituent aussi l’opinion publique et dans nos systèmes pénitentiaires, il est fondamental que cette opinion publique puisse entrer en prison. Ce ne sont pas que les ONG spécialisées et les églises qui doivent être la société civile présente en prison; il faut aussi que d’autres viennent régulièrement. Dans ces conditions, ce ne sera pas du voyeurisme mais de la solidarité et de la vigilance.

Les visiteurs ne changent pas l’univers concentrationnaire mais, par leur simple présence lors de tels événements, ils rappellent que la prison, ce «dedans» est aussi à l’intérieur de la société. Quatre murs, quelle que soit leur construction et leur protection, écartent un peu du reste de la société mais ne sont en aucune manière une négation de la société.

Personnel pénitentiaire, éducateurs, gardiens, familles, bénévoles, ONG,     églises même doivent continuer à entrer en prison et rencontrer les détenus.
Même avec des messages différents – pour peu qu’ils ne visent pas à replacer un conditionnement par un autre – ils doivent manifester l’intérêt ou tout au moins l’attention du dehors sur ce qui se passe dedans.

C’est une minorité qui est enfermée mais ce sont des personnes qui sont, en ce moment, dans l’échec le plus total.

Demain, ce seront les familles qui assisteront au spectacle; ce n’est pas n’importe quel extérieur… même si certaines familles sont plus extérieures et indifférentes au sort des détenus que certains sympathisants.


Portes ouvertes….

Evidemment que les acteurs souhaiteraient que cette opération « portes ouvertes » puisse avoir lieu dans les deux sens; qu’il n’y ait pas que l’extérieur qui  puisse venir à l’intérieur mais que ceux du dedans puissent aussi aller dehors… mais cela, c’est vraiment une autre histoire, un tout autre débat.


Marc De Maeyer
Barcelone, le 24 novembre 2011


jeudi 24 novembre 2011

"Entre toi et moi" - une première entre soi à Barcelone , à la prison de Cuatro Camins

« Entre toi et moi » …entre soi.


Hier, c’était la première de la pièce « Entre toi et moi » au théâtre de la prison Cuatro Camins de Barcelone. Cette pièce, de plus d’une heure, écrite par les détenus eux-mêmes et combinant plusieurs techniques (musique, chant, vidéo, théâtre) touche à ce qui a très souvent fait problème dans le développement de l’enfance du détenu et ce qui, en même temps, représente son espoir le plus grand, à savoir la famille.

Cette famille qui n’a pu, pour divers motifs, encadrer l’enfant et l’adolescent, cette famille qui vivait dans la précarité économique et surtout affective; cette famille où chacun ne savait pas très bien où il se situait, ni même s’il était le bienvenu; cette famille parfois recommencée plusieurs fois; cette famille-là, ces familles là charrient des secrets.

« Entre toi et moi » est donc la parole des détenus sur leurs familles, sur leur enfance et donc, sur leur malaise, le manque de communication, la fuite, la valorisation exclusive du présent.

La première du spectacle était présentée devant les détenus de trois sections particulières de la prison (psychiatrie, crimes de sang, crimes sexuels) ; ils étaient une centaine à assister à la représentation. Une représentation entre soi, en quelque sorte.

« Entre toi et moi », entre soi, donc.

C’est un public qui ne connaît pas le théâtre, qui n’y a presque jamais mis les pieds, qui croit encore que « le théâtre, ce sont des activités de femmes et de PD », que la vie est ailleurs (et c’est sans doute pour cela qu’il est si difficile d’en parler). C’est un public qui réagit au quart de tour. Il a réagi à la musique, aux interrogations de quelques-uns concernant la peur, le risque, le secret, la vie, le futur. On sentait, à certains moments, que ceux qui parlaient sur scène, parlaient pour eux-mêmes mais aussi pour ces autres, dans la salle.

Le principal défi des acteurs est toujours d’être crédible dans son rôle ; ce l’est d’autant plus ici que l’on joue une partie de sa propre vie mais aussi une partie de celle de ceux qui sont dans la salle et qui ne vous ont pas demandé de le faire; c’est pour cela qu’ils ne laisseront rien passer.

Intermédiaires ou interprètes à leur corps défendant, ces acteurs dévoilent des morceaux de plusieurs vies, représentent des secrets, des souvenirs et des regrets, portent encore des promesses de revanche (sur un ennemi ou sur la vie), transportent – entre toi et moi -  les  motifs plus ou moins explicites et conscients de leur emprisonnement.

Leur crédibilité ne sera donc pas qu’une affaire de technique théâtrale ; elle le sera aussi dans la cohérence construite avec les autres rôles et spécialement celui, pas si banal que ça, de détenu.
En prison, tout le monde joue au moins un rôle et certains vont plus loin et jouent la séduction mais tous jouent au moins le rôle du bon détenu, de celui qui a compris sa faute et promet de ne plus jamais recommencer.

Le détenu, dans le seul rôle que la société lui reconnaît encore (être un détenu) est prêt à de dire ce que l’administration pénitentiaire espère entendre de lui pour procéder aux séquences qui conduiront à sa libération.

Dans le théâtre, l’acteur détenu superpose un rôle écrit sur son rôle imposé de détenu. La construction de cette sorte de « méta-rôle », constitue tout le défi de ces acteurs.

Dans cette ambiance, tout se dévoile : c’est la peur de ces grands bonshommes, ces délinquants majeurs qui ont peur; ils ont peur d‘oublier leur texte, ils ont peur de la réaction de la salle, ils ont peur de ne pouvoir être à la hauteur; ils ont peur de rater, eux qui, si souvent – trop souvent – ont raté des enjeux plus importants.

Hier, devant les pairs, c’était sans doute difficile; ce le sera encore aujourd’hui, mais pour d’autres raisons, quand le public sera composé de leur famille. Il faudra jouer devant ses parents, sa copine voire ses enfants. Il faudra être un professionnel. Il ne faudra pas être un perdant, un vaincu… une fois de plus.
Mais aujourd’hui, devant ses pairs, pourtant entre soi, c’était un enjeu essentiel car, de la réaction des spectateurs (en partie joués), pouvait dépendre leur évaluation de tout leur travail entamé il y a environ un an.
Ces pairs qui ne connaissent rien en théâtre pouvaient, par leurs réactions, leurs manifestations, leurs commentaires, dénigrer cet engagement individuel dans un effort collectif.

C’est tout le mérite de la coordination artistique de les avoir préparés à cette possibilité qui ne s’est pas produite.

Tout s’est bien passé «entre toi et moi »… sans doute aussi parce que l’on était quand même un peu  entre soi.


Marc De Maeyer
Barcelone

mercredi 23 novembre 2011

Histoires de vie: répétition de "entre toi et moi" à la prison de Barcelone

J’ai assisté, dimanche,  à la première répétition générale de « Entre tu y yo », un spectacle de Teatrodentro conçu et réalisé dans la prison de Cuatro Camins, à une trentaine de kilomètres de Barcelone.

Cette prison, bien entretenue, si elle n’est pas un modèle (il n’y a pas de prison modèle), n’en demeure pas moins une de celles ou, s’il le faut et quand il le faut, il vaut mieux être incarcéré que dans d’autres du même pays, de la même région, du même continent…

L’organisation quotidienne, voulue par la volonté politique de la Région ainsi que des responsables de la prison, prévoit que pratiquement chaque détenu a, chaque jour, au moins, une demi-journée d’activité: que ce soit du théâtre, de l’alphabétisation, de la formation professionnelle, du travail pour les entreprises privées, du sport…
Rares – très rares – sont ceux qui restent en cellule toute la journée.

Répétons-le, il n’y a pas de bonnes prisons et celle-ci, comme d’autres, comporte son lot de manquements, d’échecs, de frustrations, …

On la décrira un autre jour et on va se concentrer, aujourd’hui sur la répétition générale.

La répétition a lieu dans le théâtre… car la prison dispose d’un théâtre d’environ 400 places. Ce qui n’est déjà pas banal.

La collaboration d’assistant que je preste ici pour quatre mois, grâce au soutien du programme Grundtvig, me permet d’observer cette dynamique.

Le spectacle a été imaginé par la dizaine de détenus qui participent à l’atelier; au cours d’improvisations, de discussions, d’imitation, ils en sont venus à construire progressivement un scénario.
Cela ne s’est pas fait en huit jours ; il a fallu six mois, à raison d’une réunion tous les jours pendant les 5 jours de semaine, pour arriver à un « consensus», une œuvre commune. C’est ici que l’éducation non formelle dévoile tout son potentiel: des gens qui n’ont pas l’habitude de négocier, de laisser de la place à l’autre, d’entamer un projet et de s’y tenir, de comprendre les règles de la communication interpersonnelle: tout cela, ils l’ont assimilé pour produire le scénario. Ce sont des apprentissages forts qui serviront (et servent déjà)

« Entre toi et moi ».

L’histoire d’une famille où il y a des secrets, et donc des alliances et donc des non-dits; une famille où l’un va négocier une partie d’un secret avec un autre pendant que cet autre sera dans le secret d’une autre nature.

Evidemment que la famille est centrale dans l’imaginaire et la réalité du détenu : c’est souvent à l’intérieur de celle-ci que l’on va trouver les causes profondes qui ont amené à la délinquance mais c’est également à l’intérieur de celle-là que les intervenants sociaux essayeront de travailler pour préparer la réinsertion. C’est aussi son modèle qui tient les détenus « éveillés à leur futur », c'est-à-dire à leurs projets pour leurs enfants.

Dans le groupe, il y a un jeune qui a déjà passé pas mal de temps en prison; il n’est pas prêt d’en sortir; ce n’est pas son premier séjour en prison; en fait, son tout premier séjour en prison, c’est à la naissance ; il y est né !. Ses parents sont encore, chacun, incarcérés quelque part; des frères, des sœurs, des oncles aussi. ….
Dans ce contexte très particulier, la famille est vraiment le mot magique; loin des solidarités éphémères et utilitaires qui se construisent entre pairs en prison. Mais quel mythe aussi !

Donc, dimanche après-midi: répétition générale; pas de texte en mains; l’installation technique, les décors ont également été préparés par d’autres détenus. Au total, une vingtaine, encadrés par trois professionnels du théâtre. Et, à la porte, un seul gardien à qui tout le monde dit bonjour, avec qui on bavarde…

Un groupe d’étudiants en travail social et en art est venu; pour voir de l’intérieur ce travail ; pour aller plus loin que l’émotion que l’on a quand on assiste à un spectacle proposé dans ces circonstances, dans ce lieu.

Le théâtre ne transforme pas les détenus en anges, en personnes immensément gentilles et sympathiques et d’une douceur exemplaire. Les détenus restent les coupables qu’ils sont d’avoir enfreint la loi et souvent d’avoir atteint à la dignité de leurs contemporains mais, les voilà sur scène avec leur trac, la perte de mémoire, l’oubli de se placer sous la lumière, l’impatience de répéter la scène une cinquième fois parce que l’interlocuteur se trompe toujours au même endroit, le fou rire nerveux ; la peur de se tromper, le plaisir aussi de rencontrer sur scène des femmes avec qui les détenus sont toujours d’une correction exemplaire.

On représente et évidemment, on SE représente ; on essaye de présenter bien aussi. La nervosité est palpable; normal ; ce sont deux univers qui ont appris à se connaître (ceux du dehors et ceux du dedans) mais il faut chaque fois se mesurer, s’apprécier.
Et ta mesure n’est pas ma mesure.
Ton temps n’est évidemment pas mon temps.

Tout est tension. Un peu d’énervement en plus, une visite mal passée, une remarque d’un autre détenu et tout peut s’effondrer. Ce n’est jamais arrivé.
Tout comme un détenu qui aurait eu un mauvais comportement pendant la semaine et serait renvoyé huit jours en isolement, mettant à mal la répétition donc. C’est arrivé dimanche dernier.

La prison est vraiment ce lieu où on a l’impression qu’il ne se passe rien et en même temps ou tout, vraiment tout, peut arriver, comme ça, d’un moment à l’autre.

Au terme de la répétition, qui a duré plus de quatre heures, chacun retourne dans son module; on leur a gardé leur repas prêt.

Il faut absolument, pour mercredi, jour de la première, avoir revu son texte.
Revoir son texte; revoir le texte écrit par tous, revoir le texte qui, à certains mots, renvoie à sa situation, à sa famille, à son histoire.
Revoir donc son histoire. Répéter sa vie !

Quatre représentations sont prévues: deux pour les détenus et leurs familles; deux pour le public de l’extérieur. Il suffisait de s’inscrire. Tout est déjà réservé. Pour certains, ce sera la première fois de leur vie que des étrangers ou des membres de leur famille viendront les applaudir.

Entre toi et moi, donc !


Marc De Maeyer.
Barcelone, 23 novembre 2011

mardi 22 novembre 2011

Le travail en prison: une bonne affaire pour qui?

Des lecteurs de ce blog nous ont envoyé cet article que nous reproduisons. Il montre clairement que le travail en prison pourrait être une occasion de formation professionnelle sur le tas ou tout au moins d’apprendre à apprendre. Il n’en est généralement rien car la pression des entreprises privées est forte et que les détenus ne peuvent s’organiser. On ne s’étonnera pas qu’une fois sortis, ils ne soient pas pressés de ré-intégrer le marché du travail non qualifié.
(extrait du journal Le Monde – 12 février)

Le travail en prison, une délocalisation sur place

Les cinquièmes assises de la prison se tenaient vendredi 12 février à Paris autour de la question "Réformer la prison". Un aspect souvent oublié du quotidien des détenus est que beaucoup travaillent. Mais dans quelles conditions ? Entretien avec Gonzague Rambaud, co-auteur, avec Nathalie Rohmer, du Travail en prison : enquête sur le business carcéral (Ed. Autrement, 2010).
Le travail n'est plus obligatoire en prison depuis 1987. Comment s'organise-t-il aujourd'hui ?
Gonzague Rambaud : 16 146 détenus ont travaillé en 2008, selon l'administration pénitentiaire. 8 596 dans le cadre d'ateliers de concessions, c'est-à-dire pour le compte d'entreprises extérieures ; 6 550 pour le service général (activité liée à l'entretien et au fonctionnement de la prison), et 1 000 pour la régie industrielle des établissements pénitentiaires qui fabrique des pièces destinées à l'administration. Le travail est devenu nécessaire à beaucoup de détenus car contrairement à certaines idées reçues, il faut de l'argent pour vivre en prison. Les repas sont frugaux donc il faut pouvoir cantiner, ce qui équivaut à faire des courses à la supérette de la prison à des prix exorbitants, y compris pour des produits de première nécessité (entretien, hygiène, timbres, stylos...).
Le statut des détenus n'a rien à voir avec le droit commun. Il n'y a pas de contrat de travail en prison. C'est expressément interdit par l'article 717-3 du code pénal. Ce qui veut dire pas de smic, pas de congés payés, pas de droit syndical, pas d'arrêt maladie...
Ils travaillent par ailleurs dans des conditions d'hygiène et de sécurité déplorables : dans des espaces pas ou peu aérés, sur des machines qui ont souvent trente ans de retard par rapport à ce qui se pratique dehors. A la prison de Melun, j'ai vu un détenu travailler sur une machine à rivets automobiles, laquelle avait un manche substitué par une balle de tennis crevée ! Et là encore, on déroge au droit commun car l'inspection du travail n'a pas le droit de se rendre inopinément en prison : elle doit être invitée par l'administration. A Melun, le responsable de la métallerie était là depuis 35 ans, et n'avait eu qu'une seule visite de l'inspection du travail.
Enfin, la rémunération des détenus est elle aussi très inférieure à celles des autres salariés. Ils sont payés à la pièce, avec des cadences horaires fixées par l'entreprise pour ceux qui travaillent pour des entreprises extérieures. Le seuil minimum de rémunération, sorte de smic carcéral, est officiellement de 3,90 euros brut de l'heure. Un détenu me racontait que même en ayant une bonne cadence, il n'arrivait à gagner au mieux que 300 euros par mois, en travaillant 6 heures par jour. Ceux qui travaillent au service général sont encore moins bien payés : 220 euros net par mois en moyenne, ce qui permet à l'administration pénitentiaire defaire des économies substantielles par rapport au prix qu'elle devrait payer des salariés venus de l'extérieur pour faire le ménage ou servir les repas. Le travail en prison est en fait une délocalisation à domicile.
Quelles entreprises sont concernées et comment justifient-elles le recours à ce sous-salariat ?
EADS, Yves Rocher, Bic ou encore L'Oréal ont recours au travail des détenus. L'Oréal fait fabriquer les échantillons que l'on trouve dans les magazines ; YvesRocher leur fait assembler des paniers "spécial fêtes des mères". Les Post-It de la marque 3M sont également découpés par des prisonniers. Mais nous avons rencontré beaucoup de difficultés pour interviewer ces entreprises : elles ne se vantent pas de leur présence en prison. Bic a retrouvé la mémoire quand nous avons montré des preuves : là dans un mail très détaillé, Bic a reconnu avoir été présent de 1970 à 2007 dans les prisons de Fleury-Merogis et d'Osny, pour faireassembler des opérations marketing sur leurs stylos et leurs rasoirs. Chaque fois, ces entreprises se défendent en indiquant que ce ne sont pas directement elles, mais leurs sous-traitants, des PME, qui travaillent avec l'administration pénitentiaire.
Ce vendredi, les cinquièmes assises de la prison se sont tenues sur le thème "Réformer la prison". Quelles pistes sont étudiées pour améliorer les conditions de travail des détenus ?
Plusieurs rapports ont dénoncé les conditions de travail des détenus et préconisé de faire entrer un contrat de travail en prison. Mais à chaque fois, et encore dans la dernière loi pénitentiaire votée à l'automne, le législateur insiste sur la nécessité de l'interdire. Car sur le plan économique, les entreprises n'auraient plus d'intérêt àvenir en prison. Quand les Italiens ont voulu le faire, les entreprises ont déserté.
Une solution serait de faire appel à des entreprises d'insertion par l'activité économique qui, elles, par définition, ne sont pas là pour faire du profit. Mais cela coûte cher car ces entreprises fonctionnent avec des contrats aidés. Or une personne en contrat aidé à temps plein coûte 9 600 euros par an. Une goutte d'eau pour le budget de l'Etat mais bien trop pour les contribuables dont beaucoup estiment qu'on n'a pas à dépenser de l'argent pour des criminels. Il faudrait donc de la volonté politique. Une autre piste développée par le rapport du sénateur Loridant serait de créer un statut spécial, à l'instar des zones urbaines sensibles et des zones franches urbaines : les entreprises qui viendraient s'implanter en prison aurait des aides supplémentaires de l'Etat, des exonérations de charges, etc.
Enfin, on pourrait aussi favoriser la formation professionnelle des détenus afin qu'ils sortent de prison avec une vraie qualification à faire valoir. Car la plupart des détenus ont un niveau scolaire assez faible. Pourtant, seuls 3 500 détenus ont bénéficié d'une formation en 2008 car les budgets sont très réduits et la formation n'est rémunérée que 2,24 euros de l'heure.
Le ministère de la justice parle du travail en prison comme d'une activité "fondamentale pour la réinsertion future des personnes incarcérées". Qu'en pensez-vous ?
Je ne pense pas que le travail carcéral favorise la réinsertion. La directrice de l'espace liberté emploi, le pôle emploi des sortants de prison, nous a d'ailleurs indiqué qu'elle ne constatait aucun lien entre le fait de rebondir à la sortie et le fait d'avoir travaillé en prison. Les activités pratiquées, comme le rempaillage de chaise, la couture ou le travail à façon sont des expériences difficiles à faire valoir à la sortie : soit ces activités ont été entièrement mécanisées, soit elles ont été délocalisées dans des pays à bas coût, au Maghreb ou en Asie. Et, au-delà même du type d'activité pratiquée, j'estime que lorsqu'on propose des boulots ingrats, mal payés, sans contrat de travail, cela ne donne pas au détenu un rapport au travail très intéressant.
La prison est la peine la plus grave aujourd'hui en France : priver quelqu'un d'alleret venir, c'est terrible. On ne peut pas ajouter à cela une autre peine qui est celle d'être exploité, de travailler dans des conditions d'hygiène et de sécurité déplorables, avec des rémunérations indécentes, sans même savoir pour qui on travaille.
Propos recueillis par Aline Leclerc