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Bruxelles, Belgium
J’ai travaillé plusieurs années dans le secteur de l’éducation en prison, à l’Unesco. J’ai visité les prisons d’environ 80 pays et ai rencontré des ministres de la justice et de l’éducation, des directeurs de prisons, des éducateurs et des détenus et leurs familles. L’objectif de ce blog est de diffuser l’information que je continue de recevoir ainsi que celle que j’ai accumulée pendant mes nombreuses années de « chercheur principal » de l’Unesco. Un autre objectif est de contribuer à nourrir une réflexion qui est loin d’être close à propos de la prison, de l’éducation, de la peine, de la réinsertion, du rôle de l’état, de la responsabilité du détenu … C’est un vaste débat que l’éducation en prison. C’est pourquoi ce site accueillera toutes les informations, présentations d’expériences, recherches et études ainsi que les initiatives gouvernementales dans ce secteur. Je peux lancer et entretenir ce blog grâce à l’appui de l’Agence Education Formation de la Fédération Wallonie Bruxelles qui a accepté mon projet d’assistanat Grundtvig à Barcelone, pour les quatre derniers mois de l’année 2011. Marc De Maeyer Barcelone, le 7 octobre 2011.

samedi 26 novembre 2011

Un artiste dans la famille



Un artiste dans la famille.


On n’en parlait plus, on ne pouvait plus en parler; on préférait l’ignorer, lui … le fils, le frère, le père en prison. Un raté. Notre honte.
Si son nom – notre nom – a été publié quelque part, c’était à la rubrique des faits divers. Vol, trafic, violence conjugale…

Il est en prison, dans sa cellule, puni… comme peut-être on ne l’a pas fait assez quand il était petit, comme on l’a peut-être trop fait ou trop mal.

Tout ce que l’on peut (éventuellement faire), c’est aller le voir; lui apporter un peu de nourriture, des cigarettes, une chemise, de l’argent.
Une routine familiale. Une autre manière encore de vivre une vie familiale.

Et voilà que, maintenant, c’est lui qui invite ; c’est lui qui insiste pour qu’on aille le voir, non au parloir mais au théâtre. Dans un théâtre où lui et nous n’avons presque jamais mis les pieds.

Et les familles répondent assez positivement; elles ont droit à trois entrées. Hier soir, elles étaient assises parmi le public extérieur, simples citoyens intéressés par ce travail et devant s’inscrire quelques jours à l’avance. Rien de bien compliqué au niveau administratif.

Hier soir donc, les familles étaient dans la salle. Elles ont reçu le programme où, en toutes lettres, apparaît le nom de leur parent.

Son nom sur un programme de théâtre !

C’est aussi un des (multiples) acquis du travail de Teatrodentro : au début, les détenus ne voulaient pas mettre leur nom et préféraient se faire désigner par un surnom (Je suis un autre) . A partir du moment où ils ont été reconnus comme participants à un groupe de théâtre et donc comme acteurs, et non participant à une simple occupation de loisirs, ils ont aussi compris que cela passait par une re-con-naissance de leur état civil.
Cette simple feuille de papier, avec le nom de famille, c’est tout un travail de réappropriation d’une histoire de vie, d’une histoire chaotique. Ce n’est pas un autre qui joue ce soir; c’est le même ; c’est le délinquant, c’est le détenu, c’est votre fils, c’est votre père mais c’est lui, dans toute sa personne et dans les compétences et sentiments que vous allez découvrir ce soir.

Nul ne doute que ce programme restera longtemps sur la table de la maison ; on ira le monter à la famille ; peut-être aussi aux voisins qui vous regarderont avec un peu moins de méfiance.

Certaines familles viennent à presque tous les spectacles ; pour d’autres, c’était la première fois tout comme, pour celles-ci, c’est de l’ordre du difficile de voir son parent derrière une vitre, une fois par semaine.

D’autres familles ne viendront pas car père et mère sont aussi en prison, dans d’autres coins  d‘Espagne.

Il y avait aussi ces vieux parents venus applaudir leur fils de plus de 50 ans. Applaudir. Quelles turbulences, espoirs et découragements n’ont-ils pas vécu pendant 50 ans ? Seront-ils encore là quand il sortira ?  vivront-ils encore de bons moments ensemble, dans les bras l’un de l’autre,  mis à part ces quelques instants de congratulation, de bonheur, de fierté… comme après ce spectacle. (entre tu, hijo)


Ces pères et frères étaient donc sur la scène du théâtre de la prison de Cuatro Camins, hier soir,  à une demi-heure en voiture de Barcelone.
Plusieurs mois de travail pour s’initier aux métiers de la scène, pour écrire ensemble un scénario, pour le mettre en scène et le jouer. Le tout dans la prison où, pendant tout ce processus, certains vont être changés de prison, d’autres mis en isolement pour mauvaise conduite ou violence, d’autres encore vont se décourager, déprimer, se révéler.


Ils sont sur scène ; ils jouent ; ils s’y mettent à fond. Les familles applaudissent mais s’applaudissent aussi en quelque sorte, se reconnaissant dans les séquences où on met en scène l’incommunicabilité dans la famille, le peu d’espace pour les activités de chacun, la nervosité ambiante, les secrets qui parfois n’en sont pas.

A la fin du spectacle, les familles et les acteurs étaient dans la salle, se félicitant, s’embrassant, se présentant le copain à la famille de l’autre…
C’est, une fois de plus, le mérite de cette prison (elles ne sont malheureusement pas toutes comme cela et celle-ci n’est pas parfaite) : les familles étaient ensemble; elles ont échangé pendant une demi heure avant que chacun, le cœur gros d’émotion regagne qui sa maison, qui sa cellule.
Pour les détenus, après les derniers applaudissements, retomber les pieds sur terre peut prendre quelques jours, voire quelques semaines, voire une grosse crise.

L’espace d’un soir ou peut-être à partir de ce soir, celui qui était un raté et la honte de la famille est devenu un acteur, une star !

Un acteur reconnu et applaudi par plus de cent personnes… c’est mieux que ses frères et sœurs qui ont une vie « classique ». C’est tout le paradoxe.

Evidemment, tout cela se travaille car nous ne sommes pas à Hollywood ; on est toujours en prison ; les conditions matérielles de la prison et l’ambiance familiale sont toujours identiques. Ce théâtre, ce n’est pas un rêve et ce n’est pas un moment où on oublie tout, où on efface tout.

A contraire,

C’est un moment où on montre les compétences que l’on s’est découvertes. Il a fallu la prison pour le faire. Terrible paradoxe !

C’est aussi un moment où on construit, dans la non violence, ensemble, un projet que l’on va mener jusqu’au bout; c’est une opportunité de se découvrir sinon des talents (parfois) tout au moins de nouveaux centres d’intérêt ainsi qu’une faculté d’apprentissage que l’on croyait rouillée à tout jamais. C’est aussi avoir un point de repère dans le temps infini de la prison.

C’est d’être, un temps, sous les feux de la rampe et non au banc des accusés.



Marc De Maeyer
26 novembre 2011.
Barcelone






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